lundi 18 juin 2012


Le prisonnier volontaire

Voici l'histoire rocambolesque de ce gamin doté d'une grande curiosité. Curiosité qu'il n'a jamais perdue d'ailleurs.
Il était très jeune, 5 ans et demi. Il habitait avec ses parents, une petite ville où se trouvait une prison, que dis-je, une Maison Centrale ! il ne faut pas confondre. 
Comme vous le savez, les locataires de ce type d'établissements purgent de longues peines. 
Le bâtiment était austère comme il se doit et aujourd'hui encore, malgré sa rénovation, il l'est toujours. Ce n'est évidemment pas un park d'attractions ! et puis, on s'imagine ces vies gâchées, ces gestes irréparables, ces regrets, ces peines, ces colères, cette désespérance aussi à l'intérieur de tels bâtiments.
Le climat au dehors n'était pas meilleur. Les habitants même ont tous un air triste mélangé d'inquiétude. 
Il pouvait difficilement en être autrement, puisque l'histoire se passe pendant l'été de 1942. La France était en guerre avec l'Allemagne et elle était occupée 
Les murs gris de la Centrale étaient très hauts, 7 à 8 mètres avec par endroits des traces sombres comme pour accentuer la tristesse de cet édifice. Tout autour au sommet des murs étaient disposées à intervalles réguliers, des tourelles de surveillance flanquées de gardiens armés.
Les fenêtres des prisonniers qui donnaient sur la rue étaient haut-perchées, protégées par des barreaux et des grillages de sécurité, comme de bien entendu.
Les passants ne longeaient pas le trottoir de la prison tellement elle en imposait. Craignent-ils de se faire arrêter ou d'y être, un jour, incarcérés ?...

Bien plus tard, sur la porte d'entrée du bistrot d'en face, il était inscrit: 
"ICI ON EST MIEUX QU'EN FACE" 
ce qui n'était pas très difficile ! mais n'était pas, non plus, un gage de bonne fréquentation ! 
L'immense bâtiment, impressionnait aussi le P'tit Pierre, mais sa nature curieuse, l'emportait sur tout le reste. Il voulait savoir ce qu'il y avait au delà de la grande porte qui donnait sur la rue.


Il suffirait de traverser et d'y entrer...bien sûr, mais comment ?
Au coin de la Librairie, assis sur le plot un peu semblable à ceux que l'on voit sur l'image et qui protégeaient les coins de maisons des roues de charrettes qui dérapaient dessus,  
P'tit Pierre, observait tout ce qui se passait devant cette prison. Les allées et venues des militaires et quelquefois, mais plus rarement, des  civils. Tous devaient s'annoncer au parloir pour décliner leur identité et le motif de leur visite, à travers une ouverture grillagée, pratiquée dans la porte. Lorsque tout était en ordre, la porte s'ouvrait.  

Vint le jour où, P'tit Pierre, décida d'entrer dans la prison comme tous les autres ! 
Après avoir repéré l'arrivée d'un nouveau képi à décorations dorés, il se précipita vers la porte pour se faufiler entre les jambes du militaire et d'entrer dans cette Centrale. 
Enfin ! il y était, dans cette fameuse prison ! 
Dans le sas d'entrée, on n'y voyait pas grand-chose, il faisait très sombre et comme il venait de l'extérieur, il ne distinguait encore rien de précis. D'ailleurs, dans sa précipitation, il avait failli tomber contre le mur. Il resta un instant tranquille, le temps que ses yeux s'habituent à la pénombre.
Petit à petit, il distingua des silhouettes, mais son regard se portait surtout sur les fusils. Impressionnant ! Ils étaient là, de chaque côté de la salle de garde, tenus par les mains des soldats assis sur un banc le long du mur. Il était très frappé par ce qu'il voyait-là, il resta un moment figé sur place. Les soldats se tenaient droits, le regard fixe, leurs fusils plantés devant eux, immobiles comme des statues.
Ils étaient nombreux. Ils ne pouvaient pas, ne pas l'avoir vu entrer...Mais comme ils n'avaient pas reçu d'ordres pour intervenir dans un cas pareil...ils devaient rester impassibles.
Pendant ce temps, le soldat avec lequel le gosse était entré, avait disparu dans les bureaux qui se situaient à gauche. 
Après cette première grande émotion, P'tit Pierre commençait à se sentir un peu plus assuré il se déplaçait alors dans l'allée centrale en passant devant les soldats comme pour une revue ! Ses petites mains derrière le dos, il les regardait un à un et eux ne mouffetaient pas ! Par la même occasion, ses petits pas, le dirigèrent vers une grille en fer forgé qui donnait sur une cour intérieure. Le soleil de ce bel après-midi d'été, inondait l'endroit. Cette clarté brutale l'éblouissait. Il revenait ensuite et continuait à se promener ainsi, pendant un long moment, toujours les mains sur son dos et probablement satisfait d'avoir pu réussir son coup !
Puis satisfait de ses découvertes, il s'adossa contre le mur à côté du premier garde qui lui fit un clin d'oeil complice, ce qui l'étonna, mais sans plus !
Tout doucement, P'tit Pierre commença à prendre conscience qu'il était prisonnier et qu'il fallait bien qu'il ressorte de là. L'endroit ne l'intéressait plus, il avait tout vu. Il attendait avec impatience le moment où quelqu'un venait à ressortir par là où il avait réussi à entrer. 
Plus le temps passait, plus la tension montait en lui. Il n'était plus tellement fier ! Son anxiété commençait à lui faire un drôle d'effet dans tout son petit corps.
Il devenait urgent de sortir de là ! 
Soudain un militaire arriva à grandes enjambées avec un bruit de bottes amplifié par la résonance du local. Le gamin sortit effrayé de ses pensées, quand le soldat l'interrogea avec une grosse voix autoritaire et menaçante. Il ne pouvait pas lui répondre, car il ne comprenait pas un mot d'allemand. Le soldat le prit fermement par la main et le jeta dehors devant la porte, comme un sac. Le gamin, une nouvelle fois ébloui par la clarté, faillit perdre l'équilibre, mais se rattrapa in extremis et courut à la maison où sa mère l'attendait furieuse.
Ces manèges ont eu lieu 3 fois de suite. La seconde fois, il avait pu sortir comme il était entré, sans encombres, mais la 3ème fois, ça s'est plutôt mal passé. Un soldat, au grade probablement plus élevé et beaucoup plus énervé que ceux qu'il avait côtoyés jusque-là, lui a demandé où il habitait, et en français, cette fois. Il reconduisit P'tit Pierre chez lui. Sur le chemin, pas un mot. 
Maintenant en face de la mère de l'enfant, le gradé allemand, la sermonna: 
"Madame, je vous préviens, que ça n'arrive plus jamais, sinon, il y aura des sanctions" 
La maman intimidée balbutia quelques mots d'excuses...ne faisant aucun effet sur l'officier.
Il était intraitable: 
"Plus jamais ! Compris ?" 
C'est que l'on ne plaisantait pas avec ce genre d'ordres !
Pour punition, le P'tit Pierre s'est retrouvé,pendant quelques jours, attaché au loquet du volet de la maison avec une corde, qui ne lui permettait pas de dépasser les limites du trottoir, comme la chèvre de M. Seguin !


Commentaires complémentaires:
Dans la ville, on relatait les tentatives d'évasion qui ont eu lieu dans cette Centrale, notamment un prisonnier qui arrivé sur le toit s'était accroché à la gouttière qui avait cédé, il a été retrouvé, mort, sur le trottoir après une chute de 8 mètres. 
Une autre tentative s'était produite, à la nage celle-ci, par le petit canal, construit du temps de Vauban, qui traversait la Centrale. Bien entendu, de fortes grilles étaient disposées aux entrée et sortie. Le prisonnier avait profité de travaux de déblaiement d'objets encombrants qu'il fallait réaliser, de temps en temps, pour éviter que la prison ne soit inondée. Mal lui en a pris, car au moment où il passait sous les grilles, celle-ci a été baissée par les gardiens et le prisonnier coincé, mourut noyé. 
Au fil des ans, il y en a eu d'autres, moins spectaculaires, elles ont toutes été avortées...On ne parlait pas des évasions réussies, pourtant, je crois qu'il y en a eues quelques unes...mais de courtes durées.


 Le P'tit Pierre à 3 ans environ

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