mardi 26 septembre 2006

L'ALGERIE





Lorsque j’ai vu cette image du Pont suspendu de Constantine dans mon journal un matin de la semaine passée, de nombreux souvenirs ont surgi dans ma mémoire.
En embarquant à Port-Vendres sur ce rafiot nommé El Mansour par une magnifique journée du mois de mars 1957, et encore en habits civils, nous n’étions pas très rassurés. Nous laissions derrière nous, nos petites amies et nos familles dans l’angoisse. Malgré notre vague à l’âme, nous étions tout de même très curieux de ce que nous allions découvrir en débarquant de l’autre coté de la Méditerranée. Une certaine insouciance aussi nous habitait, car nous n’avions que 20 ans !
Après un voyage de 2 jours et une nuit, je crois, nous arrivâmes en vue d’Alger La Blanche, la bien-nommée. Spectacle grandiose d’une ville qui nous éblouissait en approchant de son port !
Nous venions de différentes régions métropolitaines sans pratiquement rien connaître de ce territoire d’outre-mer. À l’école, nous avions appris, par notre instituteur, qu’il était composé de 3 départements et qu’il faisaient partie intégrante de la France, avec ses 3 Préfectures : Alger, Oran et Constantine. Qu’il y faisait chaud, qu’il y avait des orangers et des citronniers, des dattiers, des palmiers et... c’était à peu près tout.
C’était, pour nous tous, une aventure forcée, une obligation teintée de patriotisme. Nous devions revenir très vite, au bout de 12 mois…à peine. Nous allions déchanter plus tard...Ma première permission, et la seule, je l’ai obtenue après 14 mois sur le sol algérien et il fallait y retourner pour une durée pratiquement équivalente, mais cela, nous ne le savions pas, heureusement d’ailleurs…
ALGER - MAISON-CARRÉE – BEN-AKNOUN – EL BIAR et BENI-MESSOUS (il n'y avait pas lieu de les bénir, nous n'en avions pas !) puis CONSTANTINE – LE KHROUB et quelques villages environnants, c’est tout ce que nous avons connu de l’Algérie de mars 1957 à juin 1959...
Alger avec La Poste Centrale, la Mairie où nous prenions le risque d'aller danser parfois (sans grand succès d'ailleurs) la célèbre rue Michelet…
Constantine avec ses Gorges du Rhummel, impressionnantes et profondes par dessus lesquelles avait été construit un pont appelé « El Kantahar », plus loin son fameux pont suspendu, une passerelle reliant la ville à l’Hôpital Militaire. Son cinéma où je me trouvais une heure avant un attentat et dans lequel, je ne me rendais plus jamais ensuite !…
Le Khroub petite ville à une vingtaine de km de Constantine où j’ai passé près de 20 mois et où s'étaient produites les toutes premières attaques des Algériens contre les soldats Français quelques années plus tôt, en 1954 précisément.
Au Khroub à quelque 100 mètres à peine de notre caserne, se dressait un Minaret avec ses appels à la prière pour les musulmans. Cela faisait partie de notre environnement. Et mis à part, un cinéma en plein air de temps en temps, nous n'avions pas d'autres distractions. Nous dévorions les revues achetées au kiosque du coin et jouions beaucoup aux cartes. Je me souviens aussi du marché hebdomadaire, juste en face. Nous dégustions alors des cageots entiers d'oranges si sucrées et si juteuses qu'il me semble, aujourd'hui encore, ne pas en avoir mangées d'aussi bonnes depuis.
Petite anecdote, 15 jours avant ma libération, une terrible tornade s’abattait sur le village et notamment sur notre casernement, détruisant pratiquement tout sur son passage. Les jeeps renversées étaient inutilisables, les tôles ondulées volaient en l’air comme des feuilles de papiers à cigarettes, les toits s’effondraient sous le poids de trombes d'eau. En quelques minutes, la cour s'était transformée en un champ de boue ! Nous n'en menions pas large ! Après ces frayeurs, nous essayions de nous réorganiser. Nous n’avions plus de toits, ni de lits pour dormir, le soir venu, nous nous allongions à même le sol sur des couvertures retrouvées et que nous avions lavées et sèchées entretemps et dormions à la belle étoile jusqu’à notre départ.
Après une traversée, dans le bon sens cette fois, et malgré des conditions de confort déplorables, nous nous réjouissions de retrouver, enfin ! les personnes que nous aimions et nos régions respectives qui étaient restées dans les souvenirs entretenus pendant tout ce temps passé au loin…Mais 2 années et demie, c’est long, très long et certains, comme moi-même, avaient un peu de mal à se recaler à l’actualité. Cette actualité s’était beaucoup transformée pendant notre absence. L’environnement n’était plus du tout pareil, la petite amie n’était plus comme on se l’imaginait dans ses rêves, les copains s’étaient dispersés, certains s’étaient mariés…on ne comprenait plus toutes les situations. Il nous a fallu quelques 3 ou 4 mois de réadaptation et pendant ce temps-là, nous n'étions pas forcément compris par ceux ou celles qui étaient restés là. Il fallait se reconstruire en quelque sorte, le mot est peut-être fort, mais il y a un peu de cela. Enfin, chacun le vivait à sa façon, en tout cas pour moi, c’est comme cela que je l’ai ressenti.
Coïncidence ou hasard, la Ville de Mulhouse a depuis quelques années des rapports privilégiés avec la Ville du Khroub, comme un jumelage en quelque sorte...!

2 commentaires:

  1. Qu'apprenons-nous de ceci? Qu'il ne faut jamais se fier aux souvenirs car on les embellit toujours par rapport à la réalité.
    Et surement autre chose aussi.

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  2. Quel témoignage ! merci pour le partage.C'est monstrueux de s'être fait voler 2 ans et demie de sa jeunesse... cela a été un vrai gâchis de vies humaines, et encore aujourd'hui, les cicatrices laissées par cette décolonisation forcée ne sont pas toutes refermées. Ils sont peu nombreux les appelés comme toi qui accepte de parler de cette époque, à leur retour, ils n'étaient absolument pas considérés comme des combattants, puisque ce n'était soit-disant pas une "guerre".

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